Comment porter un maillot lorsqu'on a pas de b*te, ou lorsqu'on a une très grosse b*te ?
Notes transmasculines sur la plage (1)
Ça s’est passé comme ça :
En rentrant de mon premier jour de l’année à la plage, j’ai sorti le packer en mousse de mon maillot de bain et, constatant qu’il était encore humide d’eau de mer, je l’ai mis à sécher, à plat, sur le rebord de ma fenêtre.
J’ai pris une photo du packer en mousse à côté du maillot trempé. Comme je trouvais la photo drôle, je l’ai envoyée à ma copine Aria.
C’est elle qui a zoomé sur le problème :
Il s’avère que je me suis déjà posé la question.
La première fois que je l’ai mis, j’ai pensé que j’avais un tout petit corps et – du moins c’était ce qu’il me semblait – une énorme bite.
Je me suis mis de profil par rapport à maon partenaire et j’ai dit :
— T’es sûr.e que c’est pas trop gros ?
Puis de face :
— C’est bizarre, non ?
Problème : ni iel ni moi n’avions d’expérience qualifiante en observation de bites serrées dans un maillot speedo. Et il n’y avait personne dans l’immeuble ce jour-là, ni même dans la ville, chez qui nous aurions pu sonner, en slip, pour demander :
“— Que penses-tu de la taille de la bosse de mon maillot ?”
C’était l’été, il faisait très chaud. J’ai fait quelques additions dans ma tête en regardant ce maillot bien serré sur mes hanches et mes fesses, et j’ai conclu que ça irait.
Et puis, ce n’était pas vraiment le plus inquiétant dans tout ça, puisqu’après tout, nous allions à la piscine ensemble, et la question de mon packer arrivait tout de suite après la question de mes seins et la question de sa moustache. En effet, même si la bosse de mon maillot noir s’avérait être d’une taille acceptable, ma poitrine n’allait de toute façon pas l’être. Le calcul était foireux mais d’une logique rassurante : s’il y avait du trop gros niveau poitrine, le trop gros niveau maillot le compenserait. Autrement dit, les gens ne remarqueraient peut-être pas que j’avais des seins si j’avais une grosse bite.
Ça se tenait, après tout.
Quant à la question de la moustache de maon partenaire, et de ses divers poils apparents (aux mollets, au pubis et aux aisselles) j’ai résolu qu’ils apparaîtraient comparativement moins puisqu’iel allait apparaître en même temps et à côté de moi. C’était à nouveau la même théorie du plus gros arbre qui passe ou qui casse en cachant la forêt. On arriverait toustes les deux, avec nos seins, nos poils, une grosse bite, en se tenant la main, et de toute façon, il n’y avait pas une seule personne qui n’avait pas l’air cheloue dans cette piscine puisque tout le monde portait un bonnet de bain. A la rigueur, en nous voyant entrer avec ce truc sur la tête, je me suis demandé si ce n’était pas là qu’on avait l’air de cacher un truc vraiment bizarre, comme une toute petite main plantée en haut du crâne, qu’on aurait replié vers l’arrière comme des cheveux clairsemés.
La dernière chose, c’est qu’en vérité, on s’en fichait bien, d’avoir l’air bizarre ou pas. Cette personne et moi, on se sentait tellement fort.e.s quand on était ensemble, tellement invulnérables côte à côte, qu’on serait allé.e.s partout, les seins nu.e.s. Nous nous aimions tellement que nous n’avions plus peur. Je n’exagère pas. Nous étions queers, mais nous étions toustes les deux.
Notre amour ressemblait à l’ivresse.
*
Bref, c’est dans ces conditions que j’avais déjà essayé une première fois mon packer de bain.
Et ça avait été une expérience tout à fait concluante, puisque nous étions ressortis sains et saufs de la piscine – non sans que j’essuie un regard outré d’un jeune homme, musclé au demeurant, lorsque j’avais tenté d’évaluer d’un regard subreptice la taille de son propre joujou serré dans son maillot ; pour valider la taille de ma mousse, bien entendu. Je l’avais vu me fusiller immédiatement du regard et, en anthropologue prudent mais avisé du « fait » masculin, j’avais inscrit immédiatement sur mon bloc-notes mental cette coutume comme une nouvelle vérité sociale : il n’est pas poli, entre homme, de se vérifier la bosse. Quoique je n’étais pas sûr de la nature problématique de l’interaction : était-ce perçu comme une avance, ou une offense, ou la première se confondait-elle avec la seconde ?
Je n’avais pas encore répondu à ces questions, oubliant, chaque fois que je croisais un homme cis de ma connaissance qui aurait pu me renseigner, de les lui poser. Naturellement, c’est que nous trouvions bien souvent d’autres sujets de conversations plus urgents et prenants que mes études ethnologiques sur le comportement des mâles.
*
Toutes ces observations rétrospectives expliquent, toutefois, mieux quelle a été ma réaction à l’écoute du souci affiché de mon amie Aria.
J’ai immédiatement répondu :
- C’est vrai ? Tu penses que c’est trop gros ?
Et j’ai ajouté, comme pour dissiper tout malentendu :
- C’est le packer qu’on m’a vendu avec le maillot. J’ai pas choisi la taille.
Sur ce, je lui ai envoyé une photo du packer dans le maillot, datant du jour même, à la plage.
Aria m’a renvoyé un message qui m’a instantanément accablé.
- Noah, qu’est-ce qui t’excite comme ça ?
*
Je me suis vu, me baladant cahin-caha au mont rose, avec juste ma petite chemise d’intellectuel volant par-dessus mon énorme bite en mousse en érection, l’œil rendu brillant par le sel, et heureux d’être là comme seuls les innocents.
J’avais passé l’après-midi non loin d’un groupe de nudistes gays qui se touchaient régulièrement le bout de la bite, la tirant visiblement comme s’il s’agissait de remettre une chaussette.
Etait-ce là aussi une coutume ?
Je ne le savais pas mais, étant moyennement rassuré par la présence de mes congénères hommes, même gays, et surtout lorsqu’ils sont nus, je m’étais efforcé de manifester mon désintérêt, en me tournant et en lisant tranquillement mon livre.
Lorsque je me levais, je jetais juste discrètement un coup d’œil, au cas où ils seraient en train de s’enculer, parce que j’avoue que je n’aurais pas aimé louper ça.
Si j’avais su que tout ce temps, c’était moi qui avais l’air de bander.